http://www.tdg.ch/economie/La-peur-s-empare-de-toute-lindustrie-du-luxe/story/27494797La peur s’empare de toute l’industrie du luxe
HorlogerieLe groupe Richemont ou le français Hermès voit leur bénéfice chuter. Un certain âge d’or disparaît.
Alain-Dominique Perrin, administrateur exécutif de la Compagnie Financière Richemont, admet que «l’horlogerie suisse est dans une période effrayante».
Alain-Dominique Perrin, administrateur exécutif de la Compagnie Financière Richemont, admet que
Le point d’activité auquel s’est livré mercredi le deuxième plus grand conglomérat mondial de marques de luxe a donné froid dans le dos à tout un secteur. Le groupe Richemont – qui convoquait à Genève ses actionnaires en assemblée générale – s’attend à une chute de 45% des bénéfices opérationnels qui seront inscrits à la fin de septembre dans ses comptes semestriels.
Un recul attribué notamment au rachat des stocks d’invendus auprès des détaillants. Le coup de froid est également lié à la perception de la situation par le poids lourd du secteur. «Il est peu probable que l’environnement négatif actuel disparaisse à court terme», indique un groupe qui compte des marques comme Cartier, IWC, Piaget ou Montblanc.
Panique sur les sacs Hermès
Rencontré à Bellevue, au siège du groupe, Alain-Dominique Perrin, administrateur exécutif de la Compagnie Financière Richemont, admet que «l’horlogerie suisse est dans une période effrayante». Regard sur la campagne qui fuit vers le lac. Il tempère. Les ventes en Chine du groupe vont plutôt bien, tout comme celles de Cartier, icône qu’il a relancée dans les années 70. «Reprendre des montres et alléger des détaillants surchargés, c’est normal – même si ce n’est pas le cas de tous nos concurrents – Cartier l’a toujours fait», poursuit celui qui a dirigé Richemont jusqu’en 2003.
La défiance s’installe pourtant, sourde aux justifications. La preuve avec la réaction au bilan publié hier par le groupe français Hermès. Cette icône des sacs à main – un secteur qui pèse plus lourd que l’horlogerie – a eu beau annoncer des profits supérieurs aux attentes, le simple fait qu’il ait renoncé à quantifier son objectif de progression des ventes – se contentant de le qualifier d’«ambitieux» – a fait plonger ses actions hier en Bourse. Dans l’horlogerie helvétique, la coupe est déjà pleine: les pointages mensuels font état d’un écroulement d’un tiers des ventes à Hongkong, autrefois leur premier débouché. Certains spécialistes évoquent une sous-utilisation des usines qui dépasserait la moitié de leur capacité totale.
Panique sur le luxe. Au point que ce n’est plus simplement la Chine, le dollar ou les attentats qui sont mis en cause. Mais le sens même d’une industrie dont le goût du lucre aurait tué la poule aux œufs d’or. «Diversification, démocratisation, délocalisation – ces stratégies pour gagner de l’argent tuent à petit feu l’image du luxe», prévenait il y a peu Fabio Bonavita, dans son ouvrage Qui a tué le luxe?
Le temps de la réserve est venu
Des prophéties qui ne bouleversent pas les 360 participants aux débats du deuxième Luxury Day organisé par l’école genevoise CREA dans le bâtiment de la Fédération romande des entreprises. Le thème: le mariage de la technologie avec le luxe est-il impossible? Tout le monde a en tête les Tesla et autres montres connectées Apple. «De nouveaux acteurs arrivent, mais ils rentrent par le «cher» et non par le luxe», dédramatise Jean-Noël Kapferer, chercheur au sein du groupe français INSEEC, dont dépend le CREA. «Leur but reste de s’attaquer au grand public», poursuit le spécialiste. «L’entrée de ces géants dans le luxe fait peur car avec elle plane la menace du renouvellement accéléré des gammes – une menace sur les marges bénéficiaires», poursuit celui qui publie Luxe, nouveaux challenges, nouveaux challengers.
Retour à Bellevue, chez Richemont. «C’est une crise comme j’en ai vu beaucoup en quarante ans de métier; celle-là est hard mais reste un cycle de plus, qui reflète les difficultés affrontées par les 300 millions de personnes appartenant à la classe moyenne supérieure dans le monde», analyse Alain-Dominique Perrin. Ce dernier se dit convaincu que l’on va simplement «revenir à la norme connue il y a dix ans». Comment? «Tout le monde va devoir s’adapter au changement du marché, il faudra sortir des produits plus humbles – la clientèle bling-bling disparaît – et revenir à une certaine réserve.» Une chose est certaine: la période des montres délirantes à plus de 600 000 francs a vécu. La retenue constituera la nouvelle norme. Sur les prix. Sur les marges. Sur l’emploi. Haut de la page
Les marques ont-elles trop haussé les prix?
Les marques horlogères ont-elles «poussé le bouchon» trop loin en matière de tarifs ces quinze dernières années? L’industrie a-t-elle créé sa propre bulle? En temps de crise, le soupçon gonfle d’autant plus vite qu’il est peu vérifiable: la politique tarifaire des manufactures, c’est «secret défense».
Il faut se contenter d’observations empiriques. L’étiquette d’une Rolex Daytona – 5400 francs il y a quinze ans, plus de 10 000 aujourd’hui, relève l’ouvrage Qui a tué le luxe? Ou le souvenir d’un Richard Mille venant montrer à tous qu’il était possible de vendre des montres à 250 000 francs.
Alors valse des étiquettes ou montée en gamme des acheteurs? Dans tous les cas, la stratégie industrielle est revendiquée par les spécialistes. «Le luxe demeure le rêve des gens qui ont de l’argent, il ne peut se nourrir de choses accessibles – à moins de 5000 francs vous risquez d’être relégué au rang d’un Baume et Mercier», analyse Jean-Noël Kapferer, chercheur du groupe INSEEC. Ce dernier parle d’un «principe du pèlerinage»: si le client ne fait pas un effort pour obtenir une icône… ce n’en est plus une. «Le signe que vous êtes une marque de luxe, c’est que vos prix montent chaque année», assène même Jean-Noël Kapferer.
Au final, qui encaisse? Les chiffres de la Fédération horlogère sont flous. Sur les modèles dont le prix d’usine ne dépasse pas 3000 francs – moins de 10 000 francs en boutique – la hausse des recettes suit le nombre de pièces écoulées depuis quinze ans. En clair, les étiquettes n’ont guère bougé.
La véritable hausse vient des modèles à plus de 10 000 francs. L’an dernier, il s’est encore vendu 1,5 million de ces tocantes aussi chères qu’une voiture – d’abord une Dacia puis rapidement une Bentley. C’est trois fois plus qu’il y a quinze ans. Un pactole: sur la même période, les recettes tirées de ces pièces de luxe ont, elles, été multipliées par plus de quatre. Au point de représenter les deux tiers de l’activité horlogère helvétique. «Les marques ont poussé le jeu un peu loin, mais pourquoi s’en priver… les Russes achetaient», grimace un connaisseur.
Les horlogers présentent les choses de façon différente. «Lorsque l’on affine l’étude pour les montres de plus de 3000 francs prix d’usine (ndlr: plus de 10 000 francs en magasin) , on se rend compte que la hausse de recettes à l’exportation est due à un changement du «mix produit» – c’est-à-dire à la vente de modèles plus chers – non à des changements de prix pour un même modèle», assure-t-on au sein de la Fédération horlogère. P-A.SA.Haut de la page